Justice Internationale: Quel Tribunal pour la RDC ?

Publié le par veritas

QUEL TRIBUNAL POUR LA R.D.CONGO ?


Congo MassacreDepuis la publication le 1er octobre dernier du Rapport Mapping sur les violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire sur le territoire de la RDC, se sont exprimés simultanément espoirs quant à la possibilité d’en réprimer les auteurs et de rendre justice aux victimes et interrogations sur la portée exacte de ce rapport notamment quant à la nature de l’instance de répression à mette en place.

L’enthousiasme général suscité par cette publication a fait croire aux Congolais qu’enfin allait se réaliser un de leurs vœux les plus ardents depuis les agressions subies par notre pays et les massacres et autres destructions causés par la guerre et l’activité des groupes armés et autres forces négatives. On a, tout de suite, pensé à la création d’un tribunal pénal international réclamé à cor et à cri par les Congolais ; c’était là une conclusion hâtive. En effet, le rapport passe en revue plusieurs formes de «justice transitionnelle», y compris la formule de commission «vérité, justice et réconciliation» ainsi que plusieurs formes de répression des crimes internationaux. Il s’agit de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), compétence universelle d’Etats étrangers, du Tribunal pénal international (TPI), genre ex-Yougoslavie et Rwanda Tribunal mixte soit sur le modèle du Tribunal spécial créé à propos de la Sierra Leone ou du Liban, ayant le statut d’une juridiction internationale, soit à l’instar des « Chambres spéciales » instituées au Cambodge et en Bosnie-Herzégovine au sein des juridictions nationales.

Nous n’allons pas ici exposer en détails ni les définitions de ces formules ni leurs avantages et inconvénients très bien expliqués par le Rapport. Mais, le débat, on pourrait dire dans un premier temps théorique, est de choisir entre ces formules.

 

OPTIONS, ENJEU ET MOTIVATIONS

 

Certes, de ce point de vue, apparemment les autorités congolaises et les auteurs du Rapport penchent vers une solution similaire, dans des termes généraux, parce qu’ils préconisent, de deux côtés, une juridiction mixte. Toutefois, les divergences qui opposent leurs positions sont réelles : si le rapport, nuancé là-dessus, semble rester ouvert, avec toutefois préférence pour une instance de statut international, pour les autorités congolaises il va de soi que «la responsabilité du contentieux de la répression des crimes internationaux revient aux juridictions congolaises, à travers l’instauration de chambres spécialisées au sein des juridictions congolaises…», donc elles choisissent l’exclusivité des juridictions nationales avec, juste la «possibilité du juge ad litem, c’est-à-dire [qu’] une ouverture est faite aux magistrats étrangers» (l’exposé du ministre de la Justice devant la réunion interinstitutionnelle de Lubumbashi).

Cette différence est de taille, si la première solution ne met pas en place un TPI, elle propose néanmoins un tribunal international mixte, ce qui, à l’évidence, est refusé par le gouvernement congolais. En effet, les « chambres spécialisées » ne sont que des chambres de juridictions congolaises comme il en est au sein de tout tribunal ou de toute cour de l’ordre juridictionnel congolais, sauf que ce sont ces chambres qui sont « seules compétentes pour juger les crimes internationaux ».

Pour le gouvernement, la justification et l’enjeu d’une telle option se trouvent, on pourrait dire, exclusivement, dans les exigences de souveraineté nationale. Tout le monde connaît la susceptibilité et la jalousie des autorités congolaises quant à la souveraineté du Congo, Etat «indépendant et souverain» qui n’a des leçons de recevoir de personne, qui peut décider souverainement sans l’intervention de qui que ce soit. Elles l’ont signifié sous toutes les déclinaisons à l’ONU pour l’amener à faire évacuer les troupes de la Monuc-Monusco, elles l’ont dit chaque fois qu’il est arrivé à un représentant étranger, en particulier occidental, d’émettre une opinion, un avis ou exprimer une velléité de « conseil » sur les affaires congolaises. Ce faisant, le gouvernement actuel veut prouver qu’il a fait réaliser des progrès au Congo sur le plan de la restauration de l’autorité de l’Etat et de la sécurité au point où on devrait, selon lui, considérer que, dorénavant, le Congo est redevenu un Etat normal ou fonctionne comme un Etat normal, ce que ressasse de façon outrancière le ministre porte-parole du gouvernement, dans le rôle où il excelle et sans concurrence, celui de communicateur.

 

On sait, cependant, aussi, la vanité de tels propos pour un pays à genoux sur le plan économique, où, selon les confirmations des spécialistes internationaux, tous les indicateurs sociaux sont au rouge tandis que des projets disparates d’ONG internationales tiennent lieu de politiques publiques et de programme gouvernemental, dont l’intégrité territoriale est constamment menacée par certains de ses voisins, tandis que l’insécurité est le lot quotidien des citoyens, et pas seulement dans nos provinces de l’Est. Cela est tellement vrai qu’il n’est plus question d’exiger le départ des troupes internationales dans les conditions alors imaginées par le gouvernement.

Sans faire de procès d’intention, le souci d’afficher la souveraineté ne peut être ni le vrai enjeu ni la vraie motivation, quand on a conscience de la profondeur du mal, c’est-à-dire, la hauteur de l’horreur des conséquences des conflits et de l’insécurité sur le plan humain, le désespoir des victimes et des familles de nos millions de morts, les unes et les autres trop longtemps abandonnées à elles-mêmes, conscience du préjudice subi par l’Etat congolais et par la communauté nationale dans leur ensemble. De telles préoccupations du genre « raison d’Etat » ignorent le devoir de justice et de réparation qui panseraient définitivement la plaie.

Face à cela, il faut dire que, au-delà de ce débat et, même, du choix, théoriques, l’enjeu réel et le seul utile et nécessaire est de garantir une justice effective, aussi rapide que possible, rendue dans toute son universalité « personnelle », c’est-à-dire à l’égard de tous ceux qui, quels qu’ils soient, ont quelque responsabilité dans la commission de ces crimes internationaux, une justice efficace quant aux exigences de la nécessaire réparation, et qui tienne compte des circonstances spécifiques de la situation qu’a connue le Congo.

 

LA NECESSAIRE INDEPENDANCE DE L’INSTANCE REPRESSIVE

 

Une telle justice doit être rôdée dans la mise en œuvre des connaissances juridiques et techniques vis-à-vis de la matière de crimes internationaux et pas seulement justifiant des compétences théoriques dans le domaine ; de plus et surtout, compte tenue de sa compétence ratione personae, c’est-à-dire de la qualité des personnes susceptibles d’être poursuivies devant elle, une telle justice doit être indépendante, aussi bien dans le statut des magistrats que dans le fonctionnement de l’instance de répression. Il ne peut donc pas s’agir uniquement d’une simple susceptibilité, d’une simple protestation souverainiste, de patriotisme exacerbé ou de fierté nationale, mais de penser au préjudice et aux victimes qui exigent la justice. Ceci doit être l’unique enjeu à prendre en considération, on ne peut sacrifier l’intérêt des victimes et de la justice à une histoire de fierté nationale ou à la démonstration que l’on est un gouvernement sourcilleux sur la souveraineté de l’Etat, sacrifier les victimes et la justice à la raison d’Etat.

Par ailleurs, tout le monde sait la situation globalement d’asservissement de la justice congolaise ; je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que je suis de ceux, rares, qui s’acharnent à chercher les moyens de sauvegarder et même de renforcer l’indépendance de la justice et des magistrats. Le Rapport démontre à suffisance cette situation déplorable de la justice congolaise et le gouvernement le reconnaît. A preuve, le fait que dans ses propositions à la réunion interinstitutionnelle, le ministre assigne à la présence de magistrats étrangers au sein des «chambres spéciales» le rôle «d’accompagner la réforme judiciaire en cours sans toutefois priver la justice congolaise de rendre justice», de «renforcer l’indépendance, l’intégrité et les capacités des magistrats». Une telle velléité ne peut convaincre et, même, fait peu cas de l’importance de l’enjeu, car voici une instance qui serait encore en processus de formation, non encore indépendante mais que l’on voudrait engager dans l’apprentissage de l’indépendance au moment même où lui est confiée une responsabilité internationale historique.

D’ailleurs, le ministre n’a pas expliqué comment, la seule présence de magistrats étrangers pourrait garantir l’indépendance et l’intégrité des magistrats congolais qui, de tout temps, malgré des textes parmi les plus avancés au monde, ont vu leur indépendance méconnue par l’exécutif. C’est d’autant moins crédible que, pendant ce temps, le même gouvernement ou sa majorité se sont engagés dans la voie de projets de révision constitutionnelle tendant à encore assujettir le pouvoir judiciaire.

Par ailleurs, on sait que la législation congolaise actuelle réserve la compétence de juger ce genre de crimes à des juridictions dont l’appartenance aux forces armées ne peut garantir l’indépendance, ce corps étant caractérisé par le commandement hiérarchique, la discipline et l’obéissance. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Rapport exclut l’attribution de cette compétence aux juridictions militaires.

On pourrait penser à la révision des textes, en particulier en vue de créer par la loi ces chambres spéciales soit comme chambres de juridictions existantes, soit comme juridictions nouvelles, ainsi que l’exige la constitution, ou encore en rapport avec les prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature. Mais, pour ce qui est de l’indépendance de la justice et des magistrats, cela n’ajouterait rien que les textes actuels (la constitution et les lois) n’aient déjà prévu et « garanti » si la pratique de l’exécutif ne témoigne pas de la ferme volonté de respecter le prescrit de la loi.

 

NON PERTINENCE DE LA QUALITE OFFICIELLE

 

Sur un autre plan, la sauvegarde de la souveraineté nationale ne saurait être la véritable motivation d’un tel choix. A cet égard, on ne saurait nier que le principe aujourd’hui établi, et si nécessaire, de la non pertinence de la qualité d’autorité publique, rende non seulement difficile mais aussi inefficace et peu crédible la solution d’une justice rendue par des juridictions congolaises même renforcée par des magistrats étrangers. Ce principe prévu à l’article 27 du Statut de Rome, qui conforte si heureusement la compétence personnelle de la justice pénale internationale, veut que le fait que le justiciable soit autorité politique, chef d’Etat, membre du gouvernement, parlementaire, supérieur militaire ou tout autre, ne peut empêcher la juridiction d’exercer sa compétence à son égard.

Par rapport à cela, se posent deux problèmes. Il n’est pas injurieux d’affirmer qu’une justice dont l’indépendance est malmenée même dans les procès ordinaires est dans l’impossibilité absolue de non seulement juger et condamner les autorités convaincues de quelque crime que ce soit mais même simplement d’engager des poursuites. Nous revenons ainsi à la problématique de l’indépendance de la justice congolaise dont tout le monde reconnaît l’inexistence.

 

En deuxième lieu, il n’est pas faux que les termes mêmes du Rapport Mapping montrent clairement que des Congolais, dont certains ont exercé ou exercent encore de hautes responsabilités au sein de l’appareil de l’Etat, peuvent être concernés par certains cas de crimes visés par le Rapport et par les poursuites que réclame le devoir de justice. Il en est ainsi tout au long de la période couverte par le Rapport, donc de 1996 à 2003. Ce cas de figure est tout à fait différent des exemples cambodgien et bosniaque.

En effet, pour ne prendre que le cas de l’instance répressive du Cambodge, chambre spéciale créée au sein de l’ordre judiciaire national, les personnes visées ne sont plus, depuis très longtemps, au pouvoir et ont été balayées par le système démocratique mis en place avec le concours de la communauté internationale ; elles ne peuvent plus ni empêcher l’exercice de la justice, ni influencer son déroulement, ni faire pression sur le tribunal. La possibilité de dire la justice dans un cas comme le nôtre où certains justiciables éventuels sont encore aux affaires, ne peut exister que si une seule autorité, suprême, est capable de mettre tout le monde au pas, remettre toutes les autres autorités à la justice, mais sans pouvoir elle-même être inquiétée parce qu’étant au-dessus de tout soupçon pour n’avoir trempé d’aucune manière dans les événements ni, a priori y être rattachée à ces derniers. En tout état de cause, dépendant de la volonté d’un seul, une telle «justice» ne peut qu’être sélective et à géométrie variable, comme en témoigne le sort différent que connaissent certains présumés criminels congolais, les uns envoyés à la CPI, les autres bénéficiant de mansuétude sans pouvoir être inquiétés.

Dès lors, la seule formule satisfaisante pour les victimes et pour la justice est celle qui, sur aucun point, ne fait dépendre l’instance répressive des autorités gouvernementales nationales. Cela se justifie par cette exigence d’indépendance et par l’universalité personnelle d’une justice bien rendue. C’est pourquoi, faute de créer, pour les raisons parfois valables exposées par le Rapport, un véritable TPI, il faut établir un Tribunal international mixte, créé sous l’autorité de l’ONU en vertu du chapitre VII de la Charte.

Ainsi, serait garantie l’indépendance vis-à-vis des autorités politiques dont certaines seraient à un quelconque degré intéressées ou concernées ; cette instance fonctionnerait, pour les raisons également exposées par le Rapport (proximité, exigences des enquêtes et investigations délais raisonnables de sa mise en place, intérêt de la population concernée, considération des victimes, coût, etc.), sur le territoire congolais. Une telle juridiction serait complétée par la mise en œuvre de la compétence universelle de tous autres Etats ; il ne faut pas en effet oublier que nombre d’auteurs des crimes internationaux commis au Congo sont étrangers et qu’ils ne vivent pas, pour la majorité, au Congo, la contribution des systèmes juridictionnels étrangers peut s’avérer indispensable. Rien, dans le statut des «chambres spéciales», lesquelles relèvent de l’ordre judiciaire national congolais, ne pourraient contraindre juridiquement les Etats étrangers de rendre ces criminels à la justice congolaise ou, même, de coopérer avec elle.

 

L’HUMANITE EST LA VICTIME DE CES CRIMES

 

Par ailleurs, si, ainsi qu’on le dit, la responsabilité première de réprimer revient à l’Etat territorial, l’histoire a montré que l’on ne pouvait pas compter sur la bonne volonté ni sur la bonne foi de l’Etat dont les éléments, dirigeants, organes, armée, services, représentants, agents, etc., sont impliqués, pour diligenter une justice équitable et indépendante et, ainsi, compenser et réparer les souffrances des victimes de son propre appareil. Peu de gens savent que c’est à la suite de l’échec des tentatives de faire juger et réprimer par l’Allemagne les criminels de guerre et les dirigeants allemands (le Keiser Guillaume II ainsi que les généraux et commandants) après la première guerre mondiale, que se concrétisa l’idée d’instituer et d’institutionnaliser la justice internationale exercée par des juridictions internationales.

En effet, sur le millier des personnes visées comme des présumés criminels, l’Allemagne n’en poursuivit qu’une douzaine pour n’en condamner que cinq ou six, tandis que le Keiser fut inaccessible en s’étant réfugié aux Pays-Bas. D’ailleurs, en réfléchissant bien il ne faut pas perdre de vue cette vérité aussi bien juridique que politique et historique que, même si les victimes que nous déplorons sont congolaises, les crimes commis le sont contre l’humanité tout entière et non seulement contre le Congo.

De fait, les incriminations relèvent du droit international et surtout, ces crimes violentent la conscience de l’humanité et méconnaissent l’« humanité » de la société ; de telle sorte que, dans tous ces sens, la victime c’est cette personne juridique « humanité » et, donc la répression doit être internationale. C’est ainsi l’intérêt de l’Humanité qui fonde la compétence universelle évoquée ci-haut. C’est également cet intérêt de l’«Humanité» qui fonde, ici comme ailleurs, la nécessité d’une instance juridictionnelle qui ne dépende pas d’un seul Etat, tandis qu’elle exige également que justice soit effectivement et réellement faite sans être annihilée par la seule volonté d’autorités qui n’ont aucun intérêt à l’expression effective de la justice.

Par  PROF. Auguste MAMPUYA KANUNK’A-TSHIABO

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